Savines et le barrage de Serre-Ponçon
Après plusieurs crues dévastatrices de la Durance, il fut décidé en Janvier 1955 de la construction d'un barrage, afin de régulariser le débit fougueux et imprévisible de la rivière. Le futur lac de Serre-Ponçon est présenté comme le bienfaiteur de la région : plus de crues, de l'eau toute l'année, une irrigation régulière et constante en aval du barrage, un développement touristique au bord du lac, etc...
Le point noir de ce projet : le lac atteindra la côte 780, ce qui signifie que l'important village de Savines, situé à 700 mètres d'altitude, va disparaître sous les eaux. Toutes les maisons devront être rasées, et leurs habitants expropriés. Comme pour les autres barrages construits ces dernières années, personne ne veut y croire et tous pensent que le projet va "tomber à l'eau" (désolé pour ce vilain jeu de mots).
Mais voilà, en mai 1957, les premiers camions commencent les va-et-vient, les premières maisons sont dynamitées, les fondations du barrage sont entreprises. Les gens prennent alors conscience que plus rien n'arrêtera le projet. Leur tour est venu. Les Savinois devront partir. 5 années se sont écoulées depuis la construction du barrage de Tignes, en Savoie. Les conditions de départ sont mieux prises en considération. Si les hameaux de Prunières, Ubaye et l'Île Rousset sont définitivement rayés de la carte, le village de Savines sera reconstruit au delà de la côte 790. Rasées une à une ou dynamitées, les maisons de Savines ne font plus parties que des souvenirs. Usines, pont, gare, Eglise, tout y passe. Le cimetière de Ubaye et sa chapelle seront déplacés sur les hauteurs.
Le barrage est de type "digue". C'est un des premiers en France. Cette technique vient des Etats Unis, et il faut le reconnaître, c'est moins vilain qu'un barrage de type "voûte en béton". Ce sont quelques 14 millions de m3 de terre et de materiaux qui sont nécessaires pour la construction de cet ouvrage.
Dans le même temps, le nouveau Savines sort de terre: un village sans âme, sans histoire et doté d'une architecture très moderne (pour les années 60). Beaucoup de Savinois quittent la région, plutôt que de s'installer dans ce nouveau village qui n'est pas, et ne sera plus jamais le leur.
Un pont de 924 mètres de long est construit afin de rejoindre les deux rives. 12 piles soutiennent le tablier du pont. Le plus grand pilier domine les ruines du village du haut de ses 45 mètres.
Dans le courant de l'année 1960, le barrage est terminé et les vannes sont fermées. L'eau monte doucement.
Le 3 mai 1961, il ne reste du village que l'Eglise qui, si elle n'avait pas été détruite, laisserait jaillir son clocher hors de l'eau. Le nouveau village domine l'ancien. Le lac de Serre-Ponçon est définitivement achevé pour l'été 1961.
Les seuls édifices à avoir été épargnés furent la chapelle St Michel, et un vieux pont qui enjambait une rivière. La chapelle était située à plus de 790 mètres d'altitude, dépassant de peu la ligne de flottaison.
Celle-ci fut sauvée in-extremis et aujourd'hui, chaque touriste peut la contempler ou se rendre sur son île. (photo ci contre). Elle a été murée suite à de nombreux actes de vandalisme. En se rendant au barrage par la route de Chorges, le visiteur passe tout près de ce pont qui, en descente, semble rentrer dans l'eau comme pour rejoindre l'ancien village. Celui-ci est très visible quand les eaux sont basses.
La région est transformée. Le climat est moins sec, la plaine en aval du barrage est devenue une des régions les plus productrices de fruits. Des hectares d'arbres fruitiers ont vu le jour grâce au système d'irrigation fournit par la barrage. Les campings, restaurant et centres de vacances sont aujourd'hui omniprésents autour du plus grand lac artificiel d'Europe.
Le village de Savines-le-lac est devenu un lieu touristique important et très fréquenté. Il s'est même dôté d'un quartier nommé "le vieux Savines", peut être pour se créer un passé qu'il n'a pas. Le vrai Savines n'existe plus qu'en photographies ou dans les souvenirs des anciens.
Les touristes savent-ils qu'en passant sur le pont, ils dominent le village où vécurent et travaillèrent plusieurs centaines d'habitants?
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